10 avril 2006

PUBS D'OXFORD

Pause sur High Street, à trois heures de l’après-midi, avec mes bagages trop lourds et une grosse envie d’uriner. Le Mitre me fait rentrer d’un coup dans Oxford, tout de suite, à cause de l’odeur de ses cuisines... dans le couloir d’entrée aveugle où des fauteuils de tapisserie, des boiseries et un plancher usés, le plafond jaune et bas imposent aussi l’élément spatial de la ville, son type d’intérieurs…



Une des deux grandes salles s’éclaire d’un jour qu’atténue le couvert nuageux. À ma surprise, elle est encore ouverte aux fumeurs. Une femme est là, tout à fait seule, assise sur une banquette contre le mur, le visage tourné vers la baie vitrée. Je ne peux pas, comme j’ai fait à Berlin, la photographier discrètement. Mon inspection la dérange un instant, nous nous saluons, et elle retourne son regard vers la rue. Cette image est belle comme un extrait de Woody Allen ou un tableau de Hopper. Je pense à lui demander de poser pour moi, mais déjà elle est en compagnie d’un homme, allume une cigarette, un autre couple s’installe… Je photographie à défaut l’entrée d’une des petites salles au fond du pub, où les salières sur les tables n’attendent que votre imagination pour se changer en la réincarnation de Shelley, de Byron et de quelques autres étudiants d’autrefois…



Dans la soirée. Sur St. Giles rêvé et désiré si fort, un après-midi de septembre dernier, celui qui connaît et reconnaît la ville n’est pas moi. Ses repères, et ce qu’il n’a pas vu, sa manière d’avoir compris ne sont pas les miennes. La ville, ses édifices, les distances : tout me semble plus petit aujourd’hui, et je me demande pourquoi il nous fallait des vélos, on va d’un bout à l’autre de l’université en cinq minutes ! Au King’s Arms, il y a une petite cheminée dans la « pièce réservée » où, à la fin de l’année universitaire, j’avais pris la liberté d’aller écrire le matin, j’y découvrais le bonheur d’un certain travail solitaire mais extérieur. J’avais oublié que cette pièce a un nom, The Office, oublié aussi ce foyer étroit où brûle une seule bûche, si courte qu’elle forme un cube, sur un lit de braise serré. Un tapis rouge très usé, comme le magnifique plancher aux lattes épaisses, larges, comme tout le pub. Seul l’extérieur a été récemment rafraîchi, rose clair, on pense à Dickens… Le viking blond, seul à une table où il travaille à l’heure du dîner… Les deux serveurs, leurs dents très belles, très blanches, comme tous les jeunes Anglais aujourd’hui, j’en suis émerveillé… Le groupe d’étudiants qui ce soir a pris possession de l’Office, je reparlerai d’eux.



Demain j’irai déjeuner au Anchor, au nord de la ville, autre ambiance, banlieue aisée, murs propres et bois entretenus, et je goûterai la première pinte bue à l’extérieur…