13 avril 2006

FICTION 2. MAGNUS PARLE

Quand on nous demandait de qui on se sentait proche, on répondait systématiquement les Smiths, U2, Depeche Mode. Sans trop expliquer. C’était assez sincère et finalement assez juste, mais n’avait pas grand-chose à voir avec la musique. Cela tenait en partie au côté sexy de ces formations. Morrissey était beau, Dave Gahan était beau, les batteurs de U2 et des Smiths étaient des petits mecs très mignons, et ce n’était pas seulement une image, dans l’intimité c’étaient de vraies bites sur pattes ! Enfin, ces types qui font pleurer les filles et… réagir les garçons sensibles… Et il faut avouer qu’on cultivait ça aussi, de manière très évidente. C’était une attitude rock’n’roll, quelque chose qui remontait aux années soixante. Une attitude tout à fait démodée au milieu des années 80 où la plupart des groupes étaient tellement moches, et personne n’avait l’air de s’en rendre compte…

On était proches de ces groupes aussi parce que dès qu’on a rencontré le succès, on a tous développé une énorme ambition. En 86-87, on pouvait donc nous classer dans un pool de quatre groupes que caractérisait leur succès phénoménal auprès de la jeunesse et leur revendication de l’héritage rock. Peu l’ont perçu à l’époque, mais la question était : qui d’entre nous allait remporter la timbale ? Nous faisions figure de benjamins… Morrissey était sur le point de suicider les Smiths, et par ce geste lui-même en tant que dieu vivant de la scène pop. Par sa personnalité : son charisme, sa solidité, son côté très consensuel aussi, disons-le, son côté pute, Bono devenait le plus sûr prétendant au titre de rock star absolue, vraiment internationale. Mais bien malin qui s’en serait douté. Quant aux Depeche Mode, ils commençaient à remplir des salles de plus en plus importantes avec leur musique spéciale, leur électro-pop dure, bizarrement romantique. Mais à la fin des années 80, leur frontman avait encore des allures de cuirette... Dave Gahan, un bon pote, vraiment. Il allait lui falloir encore quelques années, pas mal de tatouages et une belle tendance à l’autodestruction pour asseoir sa crédibilité, oser les plongeons dans la fosse des stades et devenir, pour un temps, une icône qui éclipsa même Bono…


Notre Dave à nous était un petit punk tardif, souple et faux comme un chat, avec une gueule de petit dieu brun et timide. Ian Cole… Un punk à la Bowie, avec ses petites vestes cintrées de chez Paul Smith, ses pantalons en veau sur des bottines italiennes, ses longues mèches noires qu’il dégage d’un mouvement de tête énergique, lorsqu’il est décidé à sourire… C’est l’image que vous connaissez de lui sur scène… Et s’il sourit autant sur scène, vous savez bien pourquoi : c’est parce que ça le fait bander de jouer avec vous, et que ça vous fait bander de partir avec lui. C’est une bonne nature. Bosseur, très patient, très courageux. Aussi le garçon le plus sociable que j’aie connu, gros fêtard, très accueillant, toujours partant pour se marrer… en même temps très secret, fier, conscient de son image, de son pouvoir de séduction… Doutant bien sûr énormément de lui-même comme artiste. J’avais fait sa connaissance un matin d'avril 83, alors qu’il faisait courir son chien sur la plaine de Port Meadow et que je traînais plus ou moins là, comme souvent, à gamberger des projets totalement mégalos en fixant l’horizon bucolique et jaune…




© Frédéric Le Roux, 2006
photo de Dave Gahan : dailydepeche.blogspot.com