15 mai 2006

PERFECTION


Avant de travailler sur mon petit roman, je vais écrire une page de génie ? Une page pure… Pourquoi pas ? C’est une bonne manière de se mettre en jambes. Je me suis installé en cinq minutes dans la dépendance, pendant que Dominique fait ce que je fais normalement le matin : la salle de bains, l’aspirateur, le Carolin… Elle fait cela, et me permet de faire ceci. Un peu frais encore, 13° peut-être, je monte les petits radiateurs à 4, il faut se méfier du froid quand on écrit car on reste immobile, mais un soleil radieux. En passant dans la petite salle d’eau pour me laver les mains, j’ai le souvenir vivant de tels moments de grâce, fréquents, il y a une dizaine d’années, avant la fin de la jeunesse. C’était normal, c’était ce qui dominait. C’est un sentiment de perfection, d’accord tel que, presque, il me paralyse…

À vingt ans j’étais averti de la précarité de la grâce dans la vie, mais je n’en avais pas une vraie conscience : je me rendais très attentif à ces moments, mais je ne redoutais pas de les quitter, je ne craignais pas de les perdre… Aujourd’hui non plus, mais d’une autre manière. La différence est peut-être désormais d’en connaître le prix. Parce que c’est quelque chose qui avait été perdu, et qui a été reconquis…

La compréhension de notre existence, la représentation que nous avons de notre vie ne se fait pas toujours sur le même mode. Elle prend des visages très divers, généralement successifs, rarement simultanés. Tu as eu beaucoup de bonheur, et de bonheurs, dans ton passé, et tu continues d’en avoir même s’ils te semblent plus intermittents, parce que tu n’as pas conscience de certains bonheurs et que les autres, plus ou moins sensibles, sont aussi plus espacés. Toute ta vie métaphysique forme dans ta mémoire un temple caché, un sanctuaire, un pays que tu peux appeler ton cœur, dont prendre conscience à un moment quelconque de ta journée pénible ou banale te donne un vertige : entre ta vie métaphysique et le sentiment ordinaire de ton existence, l’écart semble incommensurable. L’une n’est pourtant que l’expression de l’autre…