PISSER DANS LES GUITARES

Mon meilleur souvenir reste la fois où Ian avait réussi à verser deux bons litres d’Amstel recyclée dans la gratte de Jean-Louis Aubert, aux Eurockéennes dont c’étaient les débuts. Je ne sais plus trop comment il avait réussi son coup parce que Jean-Louis était arrivé sur scène instrument en bandoulière, je crois qu’il avait utilisé un sac en plastique dans la caisse et du scoth qui résista juste le temps qu’il fallait… Donc Jean-Louis arrive, très classe, très français avec sa coupe de cheveux libre rebelle, son costume déstructuré Marithé et François Girbaud, et sous le bras une Gibson Hummingbird de 1960, une rareté, superbe, un vrai choix d’esthète. Gros applaudissements. Il commence son tour de chant avec une reprise de La bombe humaine, chanson d’abord très douce, très calme, suspense parfait pous nous, on se tenait les côtes. Au deuxième couplet le batteur a démarré, et d’un coup notre Jean-Louis s’est allumé, comme s’il avait reçu un choc électrique… Le voilà complètement parti, balançant la Gibson à gauche, à droite, en haut, en bas, et allez que je saute d’un bout à l’autre de la scène sur un pied ! Ah, il rendait un bel hommage à Téléphone ! C’était tout le rock français qui explosait et… s’arrosait sur la scène de Belfort… La bombe humaine, tu la tiens dans ta main… Je pense que Ian se serait pissé dessus s’il ne s’était justement soulagé vingt minutes avant.

Jean-Louis l’a plutôt bien pris, il faut lui reconnaître cette élégance, quand il a commencé à sentir le mouillé. Peut-être qu’il avait lui-même fait le coup à d’autres. Il a dû interrompre sa performance, mais il a réussi à improviser une chute qui montrait qu’il assumait, quelque chose comme : Je crois que je me suis laissé aller, oh oui, je me suis laissé aller… Un mec classe. J’ai toujours eu envie de lui dire que c’était nous par la suite, je n’ai jamais osé, en particulier à cause de l’instrument qui dut être sérieusement endommagé.
L’année suivante on se serait bien fait Goldman, surtout pour faire plaisir à Andy dont c’est une des têtes de Turc. Mais rien à faire, à croire que ce type ne se sépare jamais de sa guitare. Cet échec-là a un peu marqué la fin de cette époque et de cet état d’esprit. À ce moment-là on est en 1991, et Ian commence à avoir de petits problèmes.
© Frédéric Le Roux, 2006
photos de scène : Eric Baroux, www.jeanlouisaubert.com

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