20 mai 2006

ALADDIN SANE

Il nous regarde, Ian et moi, mimant de la main un geste, comme s’il agitait une clochette à hauteur de son épaule… Je reste un peu perplexe, c’est Bowie quand même, on n’a pas grandi dans la même cour. Il ne dit rien, répète son geste.
— David, tout va bien ?
— Spoon…, finit-il par lâcher.
Alors seulement j’avise une tasse fumante posée sur un rebord de fenêtre. Ian lui frotte l’épaule et lui donne la cuiller…

Nous avons cet après-midi une conversation délicieuse, en pyjamas autour de nos tasses de thé et de nos assiettes de céréales. Nous avons mille questions à lui poser, mais tout ce que nous savons dire, c’est…
— As-tu bien dormi ?
— Pas mal, merci, et vous ?
— Oh, on n’a pas dormi, enfin un peu sur le matin… Mais tu n’aurais pas préféré être à l’hôtel ?
— Oh, non, surtout pas ! Vous imaginez ? J’aurais été incapable de dormir à l’idée que Sade occupait la chambre à côté de la mienne !

Son grand rire emplit l’espace…

— L’idée de la croiser dans les couloirs, en déshabillé… Non, vraiment, je n’aurais pas fermé l’œil. Il faut que je remercie Andy, cette maison en plein cœur de Berlin est un petit havre…
— Encore un peu de thé ? Je peux te faire une assiette de saumon fumé et de harengs au curry, ça te dit ?
— Pourquoi pas ?

Je m’attends encore pendant quelques secondes à ce que David s’élève au-dessus de sa chaise dans un halo éblouissant et orangé, et une fois sa tête ayant atteint le plafond, auréolée, zébrée du signe rouge d’Aladdin Sane, à ce que descende sur nous la révélation du Secret de la Musique, émise de sa voix la plus éthérée… Nous l’écouterions agenouillés, la tête entre nos cuisses tels des fidèles mahométans…


Mais la voix de Dave est grave et bien timbrée, tandis qu’il plonge sa cuiller dans le pot de confiture d’airelles. C’est lui qui nous questionne, avec une vraie curiosité. Il veut savoir ce que nous pensons de Nirvana, il veut savoir si nous rentrons dans nos frais… Il nous radiographie, mais il y a dans ses questions une sympathie, un intérêt qui créent immédiatement la confiance, l’amitié…

— Puisque j’ai l’occasion de parler avec vous en tête-à-tête, j’aimerais vérifier à la source un point de légende… Est-il vrai que vous ayez l’habitude de… faire pipi dans les guitares des rockers ? C’est un bruit qui courait il y a quelques années… en tout cas, personne n’a eu à s’en plaindre hier, pas à ma connaissance !
— Oh oh… commence Ian. Oh… ce n’est pas un sujet de fierté…

Pisser dans les guitares… C’était vrai…

© Frédéric Le Roux, 2006