19 mai 2006

MAGNUS ET LES CHIFFRES

Cette idée d’un show unique, le temps d’une nuit, réunissant ce que le monde de la pop comptait de plus brillant, des stars évidemment, très chères, mais aussi des groupes encore mal connus mais qui, selon nous, étaient les plus talentueux de leur génération… En faveur de mouvements de lutte aussi divers que la recherche contre le sida ou l’aide aux déshérités de la réunification ! C’était une vision…


En plein milieu du Tiergarten (pour ceux qui ne connaîtraient pas Berlin, c’est le Central Park de la ville), on a fait construire une scène de vingt mètres sur quinze équipée de soixante projecteurs automatisés. Les 180 kw de la sono réclamaient à eux seuls six groupes électrogènes. Les latrines mobiles, sur cinq points du parc, drainaient 800 m de canalisations d’eau potable et autant d’évacuation des eaux usées. C’est l’équipement moyen d’un festival. On l’a fait installer pour une seule soirée. Durant cette nuit, deux cent cinquante bénévoles ont assuré la production de trois tonnes de frites, 40 000 poulets grillés, 120 000 saucisses de Francfort et autant de sandwiches. Les buvettes étaient alimentées par quatre camions-citernes contenant chacun 50 000 litres de bière. Gros flip à minuit, quand on s’est demandé si ça suffirait… Aujourd’hui, les bénévoles ramassent 800 000 gobelets en plastique. On avait soigneusement évité tous les pièges inhérents aux grandes réunions de plein air, on a été les premiers à interdire le verre… Et quelle distribution magique ! Bowie, Prince, Pink Floyd ! Madonna ! Qui s’est quand même fait payer 80 000 dollars, on a bien failli la remercier, comme on a remercié James Brown qui était encore plus cher, et Ben Harper qui demandait autant que Madonna. Merde, c’était jamais que Ben Harper ! Quant à James Brown, il n’était prêt à se déplacer qu’à condition de disposer de trois suites au Hyatt, six Mercedes break devant être mises à la disposition de sa petite équipe… Marrant quand même. Je crois qu’il kiffait bien cette idée des Mercedes…


Mais on a eu des gens adorables qui sont vraiment venus pour rien. REM est venu pour rien, Joan Baez, royale, les petits jeunes de Portishead, Supergrass, Beck qui a fait le voyage depuis L.A. sur la seule foi de notre nom… Nina Hagen, les Smashing Pumpkins… U2 est venu pour rien ! On a eu Dionne Warwick, absolument touchante et merveilleuse, qui nous a demandé un cachet raisonnable : elle voulait savoir combien prenait Barry White et s’en est tenue là. 8 000 dollars, pour info. Sade a été à peine plus exigeante, et même Björk, alors en pleine explosion, a rogné sur sa marge. Au final, Madonna mise à part, le plus gros poste a été constitué par Prince et Bowie, 50 000 chacun, « forfait » incompressible imposé par leurs maisons de disques. Les deux plus grands génies musicaux de leur temps n’ont pas la moindre liberté à l’égard des studios. Enfin, ça va mieux pour Bowie depuis qu’il a fait Let’s dance… Oh, et Claude Nougaro qui était venu pour une somme dérisoire, terrifié à l’idée que les textes de ses chansons ne soient pas compris !


Bowie a dormi chez nous, c’est-à-dire dans la maison d’Andy où nous campions tous ces derniers jours. Je le revois, les yeux un peu bouffis, malicieux et détendu après son succès d’hier, entre les ficus de la cuisine…

À suivre…

© Frédéric Le Roux, 2006