20 mai 2006

ALADDIN SANE

Il nous regarde, Ian et moi, mimant de la main un geste, comme s’il agitait une clochette à hauteur de son épaule… Je reste un peu perplexe, c’est Bowie quand même, on n’a pas grandi dans la même cour. Il ne dit rien, répète son geste.
— David, tout va bien ?
— Spoon…, finit-il par lâcher.
Alors seulement j’avise une tasse fumante posée sur un rebord de fenêtre. Ian lui frotte l’épaule et lui donne la cuiller…

Nous avons cet après-midi une conversation délicieuse, en pyjamas autour de nos tasses de thé et de nos assiettes de céréales. Nous avons mille questions à lui poser, mais tout ce que nous savons dire, c’est…
— As-tu bien dormi ?
— Pas mal, merci, et vous ?
— Oh, on n’a pas dormi, enfin un peu sur le matin… Mais tu n’aurais pas préféré être à l’hôtel ?
— Oh, non, surtout pas ! Vous imaginez ? J’aurais été incapable de dormir à l’idée que Sade occupait la chambre à côté de la mienne !

Son grand rire emplit l’espace…

— L’idée de la croiser dans les couloirs, en déshabillé… Non, vraiment, je n’aurais pas fermé l’œil. Il faut que je remercie Andy, cette maison en plein cœur de Berlin est un petit havre…
— Encore un peu de thé ? Je peux te faire une assiette de saumon fumé et de harengs au curry, ça te dit ?
— Pourquoi pas ?

Je m’attends encore pendant quelques secondes à ce que David s’élève au-dessus de sa chaise dans un halo éblouissant et orangé, et une fois sa tête ayant atteint le plafond, auréolée, zébrée du signe rouge d’Aladdin Sane, à ce que descende sur nous la révélation du Secret de la Musique, émise de sa voix la plus éthérée… Nous l’écouterions agenouillés, la tête entre nos cuisses tels des fidèles mahométans…


Mais la voix de Dave est grave et bien timbrée, tandis qu’il plonge sa cuiller dans le pot de confiture d’airelles. C’est lui qui nous questionne, avec une vraie curiosité. Il veut savoir ce que nous pensons de Nirvana, il veut savoir si nous rentrons dans nos frais… Il nous radiographie, mais il y a dans ses questions une sympathie, un intérêt qui créent immédiatement la confiance, l’amitié…

— Puisque j’ai l’occasion de parler avec vous en tête-à-tête, j’aimerais vérifier à la source un point de légende… Est-il vrai que vous ayez l’habitude de… faire pipi dans les guitares des rockers ? C’est un bruit qui courait il y a quelques années… en tout cas, personne n’a eu à s’en plaindre hier, pas à ma connaissance !
— Oh oh… commence Ian. Oh… ce n’est pas un sujet de fierté…

Pisser dans les guitares… C’était vrai…

© Frédéric Le Roux, 2006


19 mai 2006

MAGNUS ET LES CHIFFRES

Cette idée d’un show unique, le temps d’une nuit, réunissant ce que le monde de la pop comptait de plus brillant, des stars évidemment, très chères, mais aussi des groupes encore mal connus mais qui, selon nous, étaient les plus talentueux de leur génération… En faveur de mouvements de lutte aussi divers que la recherche contre le sida ou l’aide aux déshérités de la réunification ! C’était une vision…


En plein milieu du Tiergarten (pour ceux qui ne connaîtraient pas Berlin, c’est le Central Park de la ville), on a fait construire une scène de vingt mètres sur quinze équipée de soixante projecteurs automatisés. Les 180 kw de la sono réclamaient à eux seuls six groupes électrogènes. Les latrines mobiles, sur cinq points du parc, drainaient 800 m de canalisations d’eau potable et autant d’évacuation des eaux usées. C’est l’équipement moyen d’un festival. On l’a fait installer pour une seule soirée. Durant cette nuit, deux cent cinquante bénévoles ont assuré la production de trois tonnes de frites, 40 000 poulets grillés, 120 000 saucisses de Francfort et autant de sandwiches. Les buvettes étaient alimentées par quatre camions-citernes contenant chacun 50 000 litres de bière. Gros flip à minuit, quand on s’est demandé si ça suffirait… Aujourd’hui, les bénévoles ramassent 800 000 gobelets en plastique. On avait soigneusement évité tous les pièges inhérents aux grandes réunions de plein air, on a été les premiers à interdire le verre… Et quelle distribution magique ! Bowie, Prince, Pink Floyd ! Madonna ! Qui s’est quand même fait payer 80 000 dollars, on a bien failli la remercier, comme on a remercié James Brown qui était encore plus cher, et Ben Harper qui demandait autant que Madonna. Merde, c’était jamais que Ben Harper ! Quant à James Brown, il n’était prêt à se déplacer qu’à condition de disposer de trois suites au Hyatt, six Mercedes break devant être mises à la disposition de sa petite équipe… Marrant quand même. Je crois qu’il kiffait bien cette idée des Mercedes…


Mais on a eu des gens adorables qui sont vraiment venus pour rien. REM est venu pour rien, Joan Baez, royale, les petits jeunes de Portishead, Supergrass, Beck qui a fait le voyage depuis L.A. sur la seule foi de notre nom… Nina Hagen, les Smashing Pumpkins… U2 est venu pour rien ! On a eu Dionne Warwick, absolument touchante et merveilleuse, qui nous a demandé un cachet raisonnable : elle voulait savoir combien prenait Barry White et s’en est tenue là. 8 000 dollars, pour info. Sade a été à peine plus exigeante, et même Björk, alors en pleine explosion, a rogné sur sa marge. Au final, Madonna mise à part, le plus gros poste a été constitué par Prince et Bowie, 50 000 chacun, « forfait » incompressible imposé par leurs maisons de disques. Les deux plus grands génies musicaux de leur temps n’ont pas la moindre liberté à l’égard des studios. Enfin, ça va mieux pour Bowie depuis qu’il a fait Let’s dance… Oh, et Claude Nougaro qui était venu pour une somme dérisoire, terrifié à l’idée que les textes de ses chansons ne soient pas compris !


Bowie a dormi chez nous, c’est-à-dire dans la maison d’Andy où nous campions tous ces derniers jours. Je le revois, les yeux un peu bouffis, malicieux et détendu après son succès d’hier, entre les ficus de la cuisine…

À suivre…

© Frédéric Le Roux, 2006

17 mai 2006

A DAY IN OXFORD (2)

Et maintenant samedi soir. Leur manière de se lâcher, étudiants + touristes… brutale, grossière, comme ailleurs, plus qu'ailleurs. Seule manière de faire pour moi, prendre le contrepied. Ou dormir très tôt et très longtemps, ou aller jusqu’au Zodiac à Cowley, pour entrer de nouveau dans mon roman. Je ne sais plus si j'ai parlé de Cowley ici, commune très modeste à la bordure d'Oxford. C'est là que je situe l'adolescence d'Andy et Magnus. Un rond-point, un bouquet d'arbres beau et poignant sorti d'un album d'aquarelles victoriennes, et on change de monde.


Pourquoi ce blog ? Pour partager l’impartageable… Pour rendre aux autres une partie de ce plaisir énorme que je prends…

Samedi soir. On met son tee-shirt préféré, sa jupe la plus sexy… Passé une heure du matin, on voit toutes sortes de choses par terre, de petits filtres blancs pour cigarettes à rouler dans leur étui de plastique, une brosse à cheveux… Take On Me, je danse, Cemetry Gates, je danse. Heureusement Magnus refuse de programmer Ghostbusters et Eye Of The Tiger, comme ils font dans les autres soirées eighties. Mais il cède Girls Just Want To Have Fun… Ces soirées revival, il les a créées pour sa fille dont je dessine le portrait mentalement, mémorisant son naturel, sa sensualité, son rythme, sa coiffure, la forme de ses chaussures... Je l'invente en même temps que je la regarde... Je suis en train d'apprendre un métier, je n'en prendrai pleinement conscience qu'à Rome. Romancier... Cependant le froid des murs, dans cette salle de concerts-boîte mythique, si intéressante ce soir parce que ne sont venus que les gosses du quartier, l'humidité qui environne leur défoulement un peu malade…


Rencontre de Dave, bassiste, qui a enregistré pour Six Toes, un groupe dans le style de Jeff Buckley. Gars magique, vingt-quatre ans peut-être, la gueule et l'intelligence de Gainsbourg, la carrure du yéti, trois rangs de piercings entre le nez et le front, doux, pauvre, supérieur. Son amie travaille en extra au bar. D'habitude ils sont à Londres ou à Cambridge, où la scène musicale est beaucoup plus riche aujourd'hui me dit-il. Parce que je suis français sans doute, il a besoin de me raconter le 11 septembre vécu par eux à Paris, quartier Bastille, et j’y suis avec lui, comme un nuage de plomb sur le monde.

Retour à quatre heures du matin, qui me vaudra une fatigue terrible, de l’asthme, à cause d'eux, parce que j'ai bu et ne dors pas, une transition catastrophique à l’aéroport demain…

A DAY IN OXFORD (1)


Une journée qui sera ups and downs, comme hier. A neuf heures, sur Broad Street, de petits coins bleus s’ouvrent entre les moutons du ciel au-dessus de Balliol College. Vivacité, enchaînement, force des impressions du matin…

Hier soir, les quatres jeunes tranquilles, dans un des escaliers de Wellington Sq. en bas de ma chambre, avec leur pack de Rolling Rock. Quand je repasse, une heure plus tard, ils sont partis, il y a quelques places humides sur les marches, et une petite constellation de capsules. Mais ils ont soigneusement rangé les canettes dans un renfoncement, ils ont pensé au danger du verre… Au même moment, il doit être alors dix, onze heures, deux autres gosses s’accroupissent sur le trottoir, côté square, pour rouler une cigarette. Ils se font face et ont vraiment l’air de deux gamins de l’école primaire. Contraste de leur allure – de leur attitude, de leur réalité ? – avec leurs voix énormes, mâles, terriblement accentuées par l’anglais et leur affectation, mais une affectation si réussie qu’elle paraît naturelle : après tout, c’est la voix qu’ils auront réellement demain et pour quelques années, avant que la maturité l’adoucisse…

Ce matin, au King’s, j’ai pris une veste avec un gars à qui j’ai demandé de le photographier – « no photos » m’a répondu, sans un regard, la star du King… « Sorry for interruption » glissé-je, et je retourne à mon Fish & Chips. Gâche un tout petit peu, mais surtout c’est un jour de touristes aujourd'hui. Pas la magie de jeudi soir. Je savais bien pourquoi je voulais arriver un jeudi soir, pensant le truc peut-être compromis quand j’ai appris que c’était le début de l’interterm. Mais ils étaient bien là comme je l’espérais, et juste assez nombreux, ceux qui n’étaient pas rentrés pour les vacances… Aujourd'hui je fais le touriste moi aussi, plein de photos, tant mieux, il y a trois-quatre heures de vrai beau soleil cet aprème. Stéphanie au tel au très bon moment, je venais juste d'allumer mon iPod, j’étais sur Halo. C’est son anniversaire. Et Anna qui me fout un peu mon moment en l’air au Lamb & Flag, ma faute aussi, j’ai pas géré, j’ai encore ouvert… Des fois, c’est rare maintenant, j’ouvre au mauvais moment, ou trop longtemps… Mais lovely, Anna ! Touchante ! Non, je ne regrette pas…

Une seconde… cinq autres secondes… ce soir… j’ai envie d’être chez moi, avec mon chien et Titi ! Très fort… J’aimerais pouvoir échanger une caresse, un mot, avant de traverser la ville froide, plus longue cette fois, pour aller à Cowley qui est quand même loin de l’université…

15 mai 2006

PERFECTION


Avant de travailler sur mon petit roman, je vais écrire une page de génie ? Une page pure… Pourquoi pas ? C’est une bonne manière de se mettre en jambes. Je me suis installé en cinq minutes dans la dépendance, pendant que Dominique fait ce que je fais normalement le matin : la salle de bains, l’aspirateur, le Carolin… Elle fait cela, et me permet de faire ceci. Un peu frais encore, 13° peut-être, je monte les petits radiateurs à 4, il faut se méfier du froid quand on écrit car on reste immobile, mais un soleil radieux. En passant dans la petite salle d’eau pour me laver les mains, j’ai le souvenir vivant de tels moments de grâce, fréquents, il y a une dizaine d’années, avant la fin de la jeunesse. C’était normal, c’était ce qui dominait. C’est un sentiment de perfection, d’accord tel que, presque, il me paralyse…

À vingt ans j’étais averti de la précarité de la grâce dans la vie, mais je n’en avais pas une vraie conscience : je me rendais très attentif à ces moments, mais je ne redoutais pas de les quitter, je ne craignais pas de les perdre… Aujourd’hui non plus, mais d’une autre manière. La différence est peut-être désormais d’en connaître le prix. Parce que c’est quelque chose qui avait été perdu, et qui a été reconquis…

La compréhension de notre existence, la représentation que nous avons de notre vie ne se fait pas toujours sur le même mode. Elle prend des visages très divers, généralement successifs, rarement simultanés. Tu as eu beaucoup de bonheur, et de bonheurs, dans ton passé, et tu continues d’en avoir même s’ils te semblent plus intermittents, parce que tu n’as pas conscience de certains bonheurs et que les autres, plus ou moins sensibles, sont aussi plus espacés. Toute ta vie métaphysique forme dans ta mémoire un temple caché, un sanctuaire, un pays que tu peux appeler ton cœur, dont prendre conscience à un moment quelconque de ta journée pénible ou banale te donne un vertige : entre ta vie métaphysique et le sentiment ordinaire de ton existence, l’écart semble incommensurable. L’une n’est pourtant que l’expression de l’autre…

14 mai 2006

NADÈGE


— Tu rêves ?
— Ian ? Ne me dis pas que tu es déjà debout ?
— Penses-tu, on rentre.
— Tu veux du café ?
— … et toi, qu’est-ce que tu fais debout, à sept heures du matin ?
— Je… je prépare la journée, je suppose !
— Nadège, toujours à anticiper, à prévenir pour les autres ! Je veux bien un café.
     
L’excitation, la fatigue de la nuit ont tracé deux cercles beiges autour de ses yeux, accusé l’angle des pommettes. Sa peau est très pâle, plus blanche encore que lorsque j’en tombai amoureuse. Je n’ai plus aimé aucun visage pâle après Ian. Peut-être par fidélité à cet amour-là, peut-être parce qu’il y a quelque chose d’adolescent, de trop vert dans ces visages comme préservés de la vie. L’idée d’aimer une peau blanche aujourd’hui… me fait l’effet d’un désir presque incestueux. Il y a encore un an, à Berlin, Ian arborait son masque de punk mode : les cheveux rasés, le bouc, pratiquant assidûment la muscu et les U.V., c’était le clone de Pascal Obispo. « Mon » Ian s’était si bien éclipsé que c’est une surprise de le revoir aujourd’hui, blanc, imberbe, ayant laissé repousser ses cheveux, fidèle au lycéen de 85, jusqu’à la joue bleue du petit matin. Le surmenage, les abus n’ont fait qu’aiguiser ses traits les plus fins…

— Ian, tu as quelqu’un, en ce moment ?
— Non, oui… non, enfin… Toi ?
— Oh ! non…
— Tu ne vois plus jamais Dimitri ?
— Non. Tu sais, Dimitri doit avoir soixante-huit ans aujourd’hui.
— Tu l’aimais, ce gars.
— Oui… Il me plaisait, physiquement. J’aimais son odeur. Il avait une odeur très pure, et pourtant il picolait. Une odeur sucrée, douce… J’aimais bien nos moments ensemble, c’était sans lourdeur. Mais tu sais, il était grec, et marié…
— C’était un type gentil. Marrant aussi. C’est bien que tu l’aies eu. Sans lui tu aurais trouvé le temps long, dans ton île !
— Je ne me suis jamais ennuyée à Hydra. Et ça ne dépendait pas de Dimitri, de personne en fait.
— Oui, enfin… Une île grecque, même si c’est très beau on en a vite fait le tour. Je ne sais pas comment tu as fait pour y rester… cinq ans, c’est ça ? Et tu n’avais jamais envie de remonter ?
— Non. Je remontais quand j’étais obligée. Et puis l’été, à Noël… Mais qu’est-ce que tu imagines ? Que je regardais la mer avec l’idée de m’y noyer ? Bien sûr il n’y a rien à Hydra. Il n’y a rien si tu veux qu’il n’y ait rien… Moi j’avais tout. J’avais Pete. La mer était à nous, la lumière, à nous. Tout…

Il hoche la tête en signe d’approbation, boit son café à petites gorgées, allume une cigarette. Nous emportons notre tasse sur la terrasse où le soleil se lève.

— Mais… tu travaillais à l’époque ? Tu écrivais ?
— Bien sûr, enfin. J’ai écrit mon livre sur Leonard Cohen, tu sais bien.
— …
— Leonard Cohen, l’écrivain… le chanteur !
— Oui oui, je sais… Je me souviens. C’est pour ça que tu étais partie au départ, pour le rencontrer…
— Enfin Ian, atterris ! Non, il ne vivait plus là depuis au moins vingt ans. Mais l’idée, c’était de retrouver les lieux, le cadre de son inspiration… Philippe m’avait fait lire son livre, Beautiful Losers. Il m’avait raconté son histoire avec sa femme, Marianne, et leur petit garçon. Leur vie incroyable, si libre et en même temps, si réglée… Ils économisaient l’eau, ils connaissaient chaque goutte d’eau… Tu m’écoutes ?
— Bien sûr, je t’écoute. Mais quand je suis venu, tu n’écrivais plus sur Cohen, tu travaillais sur ton roman.
— Oui, le premier. Au début, je devais rester trois mois, et puis l’article sur Cohen est devenu un livre, et puis…
— Je me rappelle très bien. Tu te levais tôt déjà, tu t’occupais de la maison, tu faisais la classe à Peter avant le déjeuner… Tu te mettais sur ton ordinateur à l’heure de sa sieste, tu tapais pendant deux heures, trois heures, sans bouger, c’était fascinant. Je n’ai jamais vu une telle facilité. Et tout ça en silence, comme une vraie abeille… Qu’est-ce que je faisais pendant ce temps-là ?
— Tu dormais, je crois ! Tu faisais la sieste avec Pete. Tu nageais aussi, beaucoup. Tu trouvais ça génial qu’il n’y ait pas de plage, pouvoir te baigner tout seul…
— Oui, c’est vrai…
— Tu étais tombé amoureux des rochers, tu disais qu’ils étaient la vérité.
— Non ? Ça, j’avais bien oublié !
— Sur le soir on montait au village…
— Oui, à pied… Ils n’autorisent toujours pas les voitures ?
— Je ne crois pas, non.
— C’était très beau, c’est vrai. Très pacifique. Je n’ai retrouvé ça nulle part.
— Tu ne buvais plus. Sauf l’ouzo de l’apéritif, mais ça… ce n’est pas boire…
— On a bien failli se remettre ensemble…
— On a failli…

Son regard parcourt l’horizon. Je l’accompagne. Par-delà la piscine, ouvert entre les hauts pins parasols, un profond espace s’étend. Une couleur de terre très claire semée de taches vert amande. Des champs, des fermes, des vignes… Cet espace ne prend pas vraiment fin : au loin les échancrures roses de l’Estérel s’étagent et fondent dans un voile blanc…

— Tu aimes ce pays, ici, je veux dire, ça doit te plaire, la nature, la lumière…
— Oui…
— Tu n’as plus besoin de vivre à Paris ?
— Pete… Le collège… Le journal…
— Oh, ton journal, tu donnes deux articles par mois ! Il y a Internet pour ça maintenant. Il y a des collèges dans le coin. Regarde Pete, lui aussi se plaît. Le soleil lui va bien, comme à tous les gosses. Comme à tout le monde… Tu as vu qu’il ose le short à présent ?
— Oui ! C’est énorme ! La dernière fois que je l’ai vu en short, c’était… il y a trois ans peut-être… c’était encore un petit garçon. Et regarde, il est déjà aussi grand que toi, non ?
— Pratiquement, j’ai l’impression.
— Il t’aime, tu sais. Il met tes chemises dans ton dos...
— Oh… il m’aime, et il me déteste, c’est normal.
— Oui… Qu’est-ce que tu voulais dire, avec ton histoire de collège dans le coin ?
— Oh, c’est juste… Quelque chose me dit qu’il ne va pas se passer longtemps avant que vous vous installiez par ici…




© Frédéric Le Roux, 2006

13 mai 2006

TU MARCHERAS JUSQU'À CE QU'ON TE DISE D'ARRETER !

– Ce que tu nous a fait cette semaine, c'est très très mauvais. Tu en es conscient ?
– J'avais une angine.
– Que tu soignes en sortant jusqu'à quatre heures du matin...
– Tu peux parler, tu passes tes nuits au Fritz à te faire enculer ! Tu es venu deux heures au studio !
– C'est pas moi le chanteur, je n'ai pas besoin d'être au studio. Moi j'ai fait ma part. Quoi ? Elles sont pas claires mes partitions ? Vous avez toutes les indications qu'il vous faut. Et puis tu chantes moins bien quand je suis là, ma présence te perturbe... Bon, quoi qu'il en soit ce que vous avez fait, c'est de la merde en barre, il faut tout recommencer. C'est vrai que tu es salement enrhumé, tu veux un mouchoir ?
– Ouais... Il est nul ce paquet de mouchoirs.
– Mais non, tu t'y prends mal. Regarde, ça fait une petite valisette, tu l'ouvres par le côté... voilà, délicat...
– T’écouter, te répondre… j’ai l’impression d’être chez le dentiste, c’est atroce ! Je suis la dent et tu es la roulette ! C’est un calvaire… un calvaire de bosser avec toi…
– OK, ça suffit. Plus un mot.
– Quoi, plus un mot ? Quoi, plus un mot ?
– Ça suffit je te dis. Va faire un tour. Va te bourrer avec tes copains, ta copine. Fais ce que tu veux… On arrête. On arrête pour deux jours.
– Et… Et tu crois que ça va changer quelque chose ?
– On a un disque à finir. Il y a beaucoup d’argent en jeu. Il y a nos familles, il y a le studio, il y a des tas de gens qui comptent sur nous. On fait une pause, on se calme, on reprend ses esprits. Et on remet ça.
– Et on remet ça ? Mais tu rêves ! Si je me casse, c’est fini, tu ne me revois pas ! Une pause, mais c’est quoi cette charité à deux balles ? Tu peux te la garder ta pause à la con, je ne marche pas !
– Tu marcheras jusqu’à ce qu’on te dise d’arrêter.
– C’est mon dernier album ! Mon dernier album avec toi !
– Oui, peut-être. Peut-être bien. Le dernier album…


© Frédéric Le Roux, 2006

12 mai 2006

IAN A LA LARYNGITE !

Vraie ou fausse excuse ? Iront-ils jusqu'au bout ?


Le mot laryngite est rigolo comme peut l'être, dans un certain contexte, le mot méningite normalement terrible. Pour ceux qui ont manqué les précédents épisodes, Ian est mon héros de fiction et Dave Gahan son modèle. Entre la fiction et la réalité, il se produit toujours des coïncidences, comme ici, une petite coïncidence de mots... Un de mes personnages est hypocondriaque : à sa première gueule de bois, il déboule le matin dans la cuisine en criant "J'ai la méningite ! J'ai la méningite !"

Le comble, c'est que bien sûr Ian/Dave soit vraiment victime d'une laryngite, et non d'une intoxication de speed ou d'alcool comme ç'aurait été le cas il y a dix ans. Le marathon Touring the Angel a commencé le 28 octobre, déjà 87 concerts. Et il va de soi qu'ils iront jusqu'au bout : Tel Aviv, le 3 août...

MARCELLO



En ce moment, je n'écris que de la merde. D'ailleurs je m'abstiens. C'est souvent comme ça quand on est très proche de son sujet, et trop investi par l'émotion qu'il contient. L'expression est alors bouleversante, l'écriture est faussée, comme le jeu d'un acteur pris par le trac. Il faut prendre du recul, faire autre chose, travailler au jardin... J'en connais au moins un que cette sécheresse reposera. Et puis, quelqu'un m'a demandé des photos... Ce ne sont pas vraiment des photos...






11 mai 2006

RICORDI



Pardonnez-moi, je ne suis pas courageux pour écrire ce soir. Vous me manquez. Aurez-vous du plaisir à voir au moins quelques photos ? Je pense à vous, toujours, et vous embrasse. Je suis dans chacune de vos maisons... comme Dieu ! comme l'oiseau !



L'église et la fontaine dont je vous parlais hier, post mis à jour, les photos sont meilleures maintenant. Cette miniature d'émail est une parmi trente autres, sur le sublime reliquaire de la Vierge au Vatican.




10 mai 2006

SANTA MARIA IN TRASTEVERE

Vous tous, mes chis si proches de moi, et toi qui me lis à Champigny, et toi à Cergy, vous ai-je donc manqué ? Dix jours sans Internet, sans téléphone ni courriers, mais vous étiez si présents dans mon coeur ! Ne vous parlerai-je donc jamais que de ça ? L'existence des êtres dans notre coeur, comme si rien d'autre n'avait le moindre sens...

J'étais là :


Je vous livre cette fois une photo qui demande à être agrandie, regardée dans ses détails. En écoutant peut-être de belles ballades de Joan Baez, mais ce n'est pas absolument nécessaire. En buvant un verre de Jägermeister, mais vous pouvez préférer le bon vin, ou même la bière... quelque chose de doux, que vous aimez... J'étais là tous les soirs, mais je n'ai pris que trois photos. J'aurais pu vous montrer beaucoup plus en me servant du petit pied acheté le dernier jour pour 8 euros près du Château Saint-Ange. Mais j'étais heureux, je ne voulais pas d'objets, de mécanique, de technique. Cependant je travaillais, puisque j'étais seul, les regardant, fournissant cet effort délicat de mémoriser un habillement, une expression, une conjonction de sentiments entre deux, trois, cinq êtres humains...

A partir de minuit et jusque vers trois heures du matin, un courant d'amour passe ici, unique. Au centre de cette place, vous ne le voyez pas sur la photo, est une grande fontaine où je suis assis. Derrière moi la présence parfaite, qui harmonise, de l'église. Je vous la montrerai demain. Sur les marches de la fontaine, une soixantaine de personnes peut-être, jeunes pour la plupart bien sûr, et c'est le point troublant. Il y a une barrière sur ces photos... Un garçon peint l'église à l'aquarelle, c'est un exercice pour son école. Un autre joue de la guitare et une fille lui demande de le faire en italien. Il préfère Bob Marley et il insiste, pour mon plus grand plaisir, "no woman no cry..." Mais il finit par donner à Carlotta ce qu'elle désire, et dix personnes chantent avec eux... Je regarde leur jeunesse et je sais la mienne. Je ne cherche pas à les rejoindre, je suis avec eux, séparé d'eux, mais c'est moi, c'est nous que je vois et comprends...



J'aimerais être avec eux ce soir, vivre encore ce moment pur, pacifié... mais je ne souffre pas d'être seul, chez moi, car je garde en mémoire le geste de Claudio, comment vous dire cela ? Je ne voulais pas me mêler de leur vie... Beaucoup d'entre eux étaient beaux selon moi, c'est-à-dire vivants, je ne les désirais pas... Je n'avais rien à leur donner, si peu... Se parler, je leur laissais cela. Et puis lui m'a fait un cadeau. Ce n'est pas ce que vous imaginez petits obsédés, ce n'est pas quelque chose de sexuel. C'est comme donner à manger à quelqu'un qui a faim. Mon visage photographié par Christophe, le lendemain.