31 mars 2006

L'ATELIER DE COUTURE

Dans le quartier gay de Prenzlauer Berg, Leathers, la marque de Holger, propose des vêtements de cuir parmi les plus beaux du marché. Il faut que j'arrête avec le commerce, mais le marché du cuir aussi, c'est une exploitation abjecte. La qualité est souvent absente, les tarifs prohibitifs, sans parler de l'origine des peaux, mais qui se soucie aujourd'hui de l'animal dont il porte la peau ? Chez Holger aussi, c'est très cher, mais chaque vêtement est unique, fait sur mesure, avec un vrai respect des matériaux et du travail. Il y a les vêtements, superbes, et il y a le travail : atelier et boutique communiquent, et l'ambiance est adorable dans cet espace où cousent, piquent et s'amusent deux hommes et une femme.


Holger et Michèle


Michèle et Markus

Ils ont l'air de la protéger, elle si petite entre eux, comme elle a l'air de les inspirer, de les équilibrer... Pour la seconde fois dans cette ville je suis ramené à mon enfance. Mon souvenir est aussi précis que celui de Markus piquant ses premiers tissus sur la machine de sa mère... plutôt réprobatrice à l'époque, il y a une vingtaine d'années, dans un Berlin encore divisé... Moi c'est à Nanterre que j'allais m'initier chez ma grand-mère couturière. Bien qu'à la retraite, elle travaillait encore occasionnellement pour des costumiers, des compagnies théâtrales. Assis à la table sur une des chaises du salon, je la regardais assembler des uniformes de cosaques, une robe d’infante, appliquée et sereine, précise et égale... Observer ses gestes, son occupation me faisait du bien. Je regardais ses longs bras que prolongeaient ses mains tout aussi longues, sa veste de laine blanche sur le chemisier bleu, sa silhouette robuste, élégante, restée belle... Son sourire dont je ne me m’étonnais pas qu’il soit exclusivement bon.

Être libre et heureux... quelqu’un d’entre nous imagina cela, le voulut, pas même pour soi. Chez elle j'aimais dessiner, faire des collages, fabriquer des objets, lire... Mémée encourageait la liberté partout où elle fleurissait spontanément, comme elle favorisait dans son jardin la croissance des espèces et l’éclosion de chaque fleur. Sans le faire sentir, presque sans le signaler, elle avait aboli la misère de l’existence, vaincue par le travail, changée en grâce…

30 mars 2006

KURT



Pas beaucoup de courage pour écrire... la ville est plus dure depuis lundi, l'hiver n'en finit pas ici aussi, je me retrouve dans les cafés comme tous les BoBos, et c'est affreux, d'être là à se faire servir par ceux qui travaillent et... font semblant d'ignorer la pomme de ton mac... Elles sont partout maintenant, les petites pommes lumineuses, mais je ne les trouve plus aussi sympathiques. Apple est finalement devenu le pire symbole de tout ça, le commerce de tout...

Demain, peut-être ?

29 mars 2006

L'ATTENTE

28 mars 2006

HACKYSACK


Un petit rapide, pour vous embrasser du soir. C'est un jeu que pratiquent les adolescents des cités bleues que je ne vous ai pas encore montrées, ça se joue avec une toute petite balle plate en tissu. C'est un très bon entraînement pour le foot m'expliquent Max, Johann et Nassiem. En effet, c'est très dur, il faut une grande habileté et en même temps beaucoup de réflexe... On prononce "èkisèk". Ce n'est pas encore une discipline officielle, mais il y a déjà des concours...



Sous les losanges de couleurs des oiseaux socialistes, ces enfants ont des visages de pluie, ouverts, lointains, souriants. Je n'ai pas osé les faire poser pour un portrait, à tort ? Il faudra que vous veniez les voir vous-mêmes...

27 mars 2006

SUNDAY


Potsdamer Platz. Pas grand chose à dire, je renonce à passer une image de la place elle-même, juste vide. Un endroit neutre. Mais que les Berlinois aient relevé cette place détruite est beau, qu’ils aient voulu le faire de la manière la plus moderne… Et puis, c’est là qu’a lieu le Festival du Film, et dans le Sony Center, il y a le Musée du Film. Un détail est sinistre, les portes de communication entre cette cinémathèque et le reste du Centre sont toujours fermées, il faut faire le tour. Comme si deux mondes se regardaient, s'ignoraient plutôt, derrière une vitre.

C’est dimanche soir, que faire un dimanche soir ? peut-être voir un film ? Je renonce à voir Transamerica, à 23 h 15, dans deux heures… Au Musée du Film, l’accueil de la projectionniste et de la caissière est adorable, tonique. Monica est un peu Kathy Bates, je lui dis « Can you save my evening ? » et elle prend les choses en main, va chercher le programme… « This one is a japanese film subtitled in german, I don’t think it will help you ! But we have Quai des Brumes in original version, in half an hour… » Je lui dis que c’est merveilleux mais que ce film est plutôt triste, elle ne se démonte pas, passe aux autres jours. Demain il y a Drôle de Drame et Les Enfants du Paradis. « Maybe I’ll save your monday too ! » Et puis elle doit retourner à ses bobines. Bon, ça ne fait pas encore mon affaire. Mais une des couvertures de magazine attire mes yeux sur le comptoir, oh !... Caché, de Haneke… Auteuil au centre de l’image, et surtout, la beauté, la présence grave de Binoche. Hilde, dont la lèvre inférieure est fendue, comme la mienne, par le froid, écoute mon désir de voir ce film, pourquoi je l'ai manqué jusqu'à présent, rit à mes explications, sans souci pour sa lèvre… Le film passe, en français ! dans un cinéma de mon quartier, tous les soirs à 18 h 15. Merci Hilde...

LE BAIN

Après-midi à la piscine, dans un quartier mignon, familial de Berlin ouest, à Lankwitz. Au sauna on est nu, et cette habitude est une première aisance, qui va de soi. Hommes, femmes, sans attitude, très simplement.

Mieux qu'un sauna j'essaie le Bio Bad, comme un sauna mais à seulement 50°, avec un taux d'humidité normal. L'action des essences aromatiques est parfaite. Elles ouvrent les voies aériennes, les pansent, et de même la peau qu'elles apaisant, lavent, hydratent. Un parfum de pinède. Je m'endors par moments et rêve, conduit d'une gamme à l'autre de mes sentiments par la thérapie des couleurs, invention magique. Deux séries de quatre spots, dont je ne comprends pas tout de suite la fonction. Un beau jaune intense, orangé, éclaire le sauna quand je m'y installe. Après quelques minutes, lui succède un rouge... Tout à l'heure, ce sera un vert de forêt, plus intime, plus musical. Enfin, un bleu de nuit d'été... La succession de ces lumières restaure l'âme...


Envie de nager ensuite. La piscine est grande, ou elle serait grande en France, ici je pense que c'est une petite. Personne ne se gêne dans l'eau, comme partout où je vais dans cette ville : les choses ont été faites pour que chacun ait de l'espace, son espace. C'était d'ailleurs la première chose qui m'était venue en arrivant, traversant cette ville sans limites, ses artères aérées : qu'ils avaient pris tout l'espace dont ils avaient besoin... Comme au sauna, les gens ne se dévisagent pas, c'est un peu difficile à expliquer, il n'y a pas d'eye contact. Manque de curiosité ? Non... J'imagine que les piscines sont, ici aussi, des lieux de séduction, de rencontre. Cette apparente indifférence a une autre raison, c'est très simple en fait. Ils sont vraiment à l'aise avec leur corps, du coup ils n'ont pas tellement besoin de se regarder, de s'observer. Cette aisance me gagne, et c'est très naturellement que je les rejoins. Il y a dans leur manière de nager sans forcer, de jouer, une tranquillité, une absence d'agressivité... Ce sont des familles qui viennent là, des gosses. Tout le monde en fait, pas une catégorie en particulier, il n'y a pas d'athlétisme. C'est le bain... et dans ce bassin délicieusement propre, tempéré, ouvert sur les bosquets lumineux au dehors, je retrouve cette chose essentielle, le respect de l'animal... oui, un profond respect de l'animal en nous, de ses rythmes, de ses besoins, et de son plaisir naturel à être...


24 mars 2006

MEMORY

Aujourd'hui, Berlin l'immense rappelle à soi un de ses satellites, une petite préfecture communiste de la région parisienne, et mon enfance se réincarne. Un souvenir est rendu vivant, comme au cinéma où l'on peut recréer le décor, habiller un acteur... sauf qu'ici, c'est actuel, c'est en vrai. L'ado skin sur la photo... Avez-vous remarqué comme son copain le regarde, planté devant lui, en arrêt ? Et cet autre regard, de la fille à droite...



Pourquoi ce petit punk me bouleverse-t-il ? Parce qu’il fut la différence même ? Que le rejoindre est un inachevable cheminement ? 1983. Il s’appelle, je crois, David Falco. À Robespierre où nous ne sommes plus élèves, revenus un samedi pour une projection, il est remarquable, en short avec ses jambes de footballeur imberbe, si blanches, quelques rangs devant moi. Il s’est rasé la tête, il allume une cigarette à la sortie, gravite au-dessus d’une petite bande… J'ai treize ans, lui aussi.

Quelques années plus tard sa misère, sa marginalité, la séduction d’un corps hors norme exposé avec arrogance, la chemise détachée, tachée et flottante... Il me parait très grand alors, comme un demi-dieu perdu parmi les hommes. J’étais tombé sur lui rue de l’Étoile, un soir de juin, mes parents absents. J’avais écouté ses plaintes d’ivrogne, soutenu un moment son chancèlement. J’avais reconnu mon désir de lui, et je lui avais refusé l’asile…

Je remonte vers la place de la Boule par l’avenue Lénine...

FEELING GOOD



Prendre le métro aérien, et regarder. Je suis frappé par la beauté des femmes allemandes, plus belles encore dans leur quarantaine. Grandes, vraiment grandes, avec ce que cela implique d'élégance, de maintien de soi. A les regarder, un sentiment vraiment physique, émouvant, le sentiment de la nature dans ce qu'elle a de puissant et de poignant. Je regarde ces femmes que j'imagine jeunes, vivantes comme des déesses, et je les vois dans leur maturité. Je vois la maternité qui les a approfondies, vieillies... grandies...

Ce n'est pas seulement ce soleil extraordinaire, ce ciel sans aucun nuage. Le métro respire la vie ce matin. C'est la vie, cette présence, ces regards éveillés chez les petites filles curieuses qui me dévisagent puis retournent à leur enfance, chez les ados qui montent et descendent, chez cet homme aux cheveux blancs qui lit le journal...


23 mars 2006

BERLINER



Fera-t-il très froid ? Du hublot je vois d'abord du blanc sur les champs, puis une rivière entièrement gelée : les anneaux de ce serpent blanc qui s'épanouit en panache, dans un petit lac...

Oui, il fait froid, mais un froid sec, pur, qui ne pince pas, ne pénètre pas. Il y a surtout... la lumière ! en arrivant... puissante, blanche, égale. Sans violence. Vraie surprise. J'attends un moment avant de prendre le taxi, rien que pour m'y baigner.

Je loge à Görli, quartier populaire à la jonction de l'ex-Ouest et de l'ex-Est. Un grand parc rectangulaire, sans grille aux entrées, encore enneigé par places. La Görlitzer Strasse n'est pas la plus large ni la plus longue des rues de Berlin, mais le trottoir fait bien dix mètres de large, de grands arbres jalonnent les deux côtés de la rue. Espace. Il y a quelque chose avec les femmes, pendant que j'attends ici mon hôte, leur présence, la présence des enfants avec elles. Comme une liberté de mouvement, et le regard, direct, curieux. Le sourire, très facile.

Un peu plus tard, j'achète du poisson à la femme la plus douce de la terre : thon pêché du matin dirais-tu, émincé de saumon fumé bien coloré et bien luisant, petites salades fraîches... Au marché couvert, derrière l'église. Renate et son mari, en allemand que je ne parle pas, s'enquièrent de mon pays d'origine, m'invitent à aller visiter Potsdam, tiennent à me faire comprendre, longuement, ce qui s'est passé ici : "nur ein Generation", cela fait seulement une génération...