29 avril 2006

PETER PARLE

« C’est incroyable les progrès que ton père a fait sur les dernières chansons. Tu as remarqué ? Il a débarrassé sa voix de tout ce qu’elle avait d’arrogant, de clinquant… C’est comme s’il chantait à partir de lui-même, pas à partir de la musique, comme avant… »

Elle est folle ou quoi, Nadège ? Elle pense vraiment que j’écoute les chansons de Ian ? D’abord, il aurait fallu qu’un de ces gros nazes me propose d’écouter, et ils s’y sont pas risqués. Ou ils en ont rien à battre de mon opinion. Ça tombe bien, pour ce que j’ai à leur dire.

Hmm… Il faut pas non plus que je raconte trop d’histoires. D’accord, j’ai un peu entendu leurs maquettes le jour où Magnus nous a donné les lecteurs mp3. Il y avait deux morceaux dans la compil. Il y a de belles harmonies… Mais ils ont pas l’air de bosser des masses, à part Andy qui bidouille des samples sur son ordi tout l’après-midi, le casque sur les oreilles. Et j’ai entendu le single, bien obligé, ça passe sur toutes les radios. Absolution. Il y a eu une fois où j’ai pas zappé. Mais ça me fait quoi, la voix de mon père qui pleure sur les guitares d’Andy ? Oui, j’ai remarqué que dans cette chanson, il dit vingt-sept fois « I'm beggin you for merci » (j’implore ta clémence), ça s’adresse à qui ? Quand même pas à ma mère, ce serait trop psycho…
 
« I’m beggin’ you for mercy
‘Cause dawn is falling
O-over me
And your sun is rising
Forever ado-o-ring »
    
Tu parles d’une daube ! Mais c’est la première fois qu’Andy écrit des textes qui parlent de Ian, et non de lui-même. Pendant quinze ans, Ian a été le perroquet d’Andy et tout le monde était content. Mais bon dieu, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? Leur histoire est complètement tordue de toute façon. Ce que je pige pas, c’est que ce soit Nadège qui m’implique là-dedans. J’ai tellement gueulé que je crois qu’elle a compris, elle est pas près de m’en reparler.


© Frédéric Le Roux
photos : www.apple.com, www.depechemode.com

27 avril 2006

PRINTEMPS


De nouveau quatre jours d'écart entre ce post et le précédent. Cette fois, c'est bien le manque, pas exactement d'inspiration, plutôt de respiration. La respiration : l'échange... De toute façon, le printemps est une saison méchante, dont on jouit quelques minutes, mais qui surtout nous travaille, nous impose ses métamorphoses. Il nous fait peu disponibles. Il me semble récemment que c'est cela, le vrai contenu de la liberté : la disponibilité. Et je compte en jouir aussi, du printemps, une fois qu'il sera un peu posé, établi, d'ici quelques jours. Je vous enverrai ici des cartes postales sereines, voluptueuses...

Le voyage est fini, depuis un moment. L'histoire est là, qu'il faut écrire maintenant, et donc vivre...

Je pensais hier à quelque chose qui relativise les conditions présentes de notre existence, de notre pensée, nos vicissitudes. J'y pensais en regardant mon chien, le mystère de son animalité qui vient à nous en jappant, du fond des âges, pour jouer, une balle entre les crocs... Nous sommes l’âge adulte d’une humanité antérieure, l’accomplissement de son enfance : elle est pour nous notre préhistoire. Et nous sommes l’enfance et la préhistoire d’une humanité à venir…

Et maintenant, je laisse la parole à Peter...

23 avril 2006

APPEL A CONTRIBUTION !

Un des personnages, Andy, le compositeur du groupe, a une particularité qui le distingue du reste de l'humanité. Je ne veux pas la dire explicitement : je ne veux pas lui coller une étiquette sur le dos. Je souhaite qu'il en parle lui-même, comme il en parlerait lui-même, c'est-à-dire naturellement, comme une chose acquise et bien connue. Ma question est : est-ce qu'on comprend ?

Accessoirement, il nous présente un portrait peu flatteur de Magnus.

Enfin, je ne suis pas sûr d'être assez clair sur la relation des témoins de jéhovah avec la médecine...




La réalité, c’est que Magnus fumait des joints du matin au soir, couché sur son lit en écoutant les Cure. C’était la honte de la famille et du quartier, sans parler du fait qu’il avait la touche la plus lamentable, des fringues noires délavées et informes, plein d’acné sur la gueule et une coupe d’enfer, plus ou moins rasé au-dessus des oreilles et les cheveux longs dans le cou. Longs, et un peu gras… Il faut préciser que Magnus est roux, mais roux carotte, flash. Quand il sortait, un vieux chapeau Barbour en toile huilée camouflait péniblement tout ça, et son mètre quatre-vingt-dix ne passait pas inaperçu !

Mes parents, ma mère surtout, l’ont plutôt mal vécu. Entre dix-huit et vingt ans, mon frère était réellement camé jusqu’aux oreilles, et le truc pervers c’est que, tout en fermant les yeux, maman finançait cette faillite. Elle lui filait les pièces de 2 livres de ce qu’elle appelait son argent de poche, en fait elle avait commencé à faire des ménages chez les particuliers en plus de son boulot d’usine. Mon père aussi fermait les yeux. C’est là qu’elle a eu sa période Témoins de Jéhovah. La tenue de son intérieur s’en est fortement ressentie… Elle allait trois fois par semaine au Kingdom Hall de Temple Street, la bien nommée. Ces jours-là j’empruntais le même chemin qu’elle, je lui faisais la route, je lui donnais le bras. On discutait un peu. Elle ne pleurait plus depuis qu’elle avait les Témoins, elle était juste complètement évaporée, elle me racontait toutes leurs conneries. Je laissais pisser à peu près tout ce qu’elle disait. Je regardais le prix des amplis d’occasion chez PMT, arrêt obligé sur le parcours. Elle en arrivait à la question de la médecine à laquelle il ne fallait pas recourir. J’aurais sans doute laissé passer ça comme le reste, mais je savais que, d'ici quelques années, elle devrait subir une opération. Un problème d’œsophage mortel sans l’intervention de la chirurgie. Ma mère m’aime beaucoup. J’ai eu gain de cause là-dessus le moment venu, et peu à peu elle s’est éloignée de la secte, en esprit d’abord, avant de s’en extirper complètement, ce qui est un exploit assez rare. Une des rares choses qui aient fait mon admiration en ce bas monde. Mais en ce printemps de 85, elle était vraiment allumée. Arrivés à l’angle triste de Temple Street, elle me disait :

« Dieu a un œil pour toi, tu es bien dans Ses pensées. Tu es appelé à devenir un grand sorcier. Utilise toujours ta magie en Son Honneur. Ne prédis pas les mauvaises nouvelles. Ne touche pas à l’Arbre de l’Égareur. Ne te laisse pas tenter par la magie noire, Satan est puissant et charmeur, Vade retro ! »

Je savais à quoi elle faisait allusion, mais je trouvais qu’elle commençait à débloquer sérieux. Je regrettais le temps où sa relation au surnaturel, comme la mienne, ne s’embarrassait pas de symboles et de bigoterie.

Je la laissais au temple et j’allais quatre maisons plus loin, chez Steve Albarn qui m'avait des entrées gratuites au Zodiac...

© Frédéric Le Roux, 2006

SEYMOUR

Travailler dans l’industrie du disque n’est pas forcément bon pour le teint…

Seymour, récemment

à l’époque des Ramones

On doit beaucoup à Seymour Stein. Beaucoup d’artistes doivent beaucoup à Seymour Stein. Voilà un homme capable de prendre l’avion à New York (le Concorde, s’il te plaît) pour aller rencontrer, au fin fond de l’Angleterre, un groupe d’adolescents balbutiants sur lesquels aucun critique ne pariait un penny. Il les a entendus sur cassette… Il les voit se produire, et entre des dizaines de groupes similaires, leur présence sur scène fait immédiatement la différence à ses yeux. A ce jour, le groupe en question a vendu quelque chose comme 70 millions de disques. Leur tournée actuelle, qui court jusqu'au mois d'août, aura touché deux millions et demi de personnes à travers trente-et-un pays...

Rencontre de l’intuition, du talent et de l'ambition.

21 avril 2006

PISSER DANS LES GUITARES

Pisser dans les guitares, ça remontait à l’époque de nos tous premiers festivals, quand une vingtaine de groupes plus ou moins foireux, plus ou moins talentueux se succédaient sur les estrades boueuses de Glastonbury ou de l’île de Wight. L’effet était garanti, mais il y fallait de la ruse : un peu de finesse, un peu de chance… On ne pouvait viser que les formations vraiment acoustiques : impossible de pisser dans une guitare électrique. L’idéal, c’était que les mecs arrivent sur scène sans leur gratte, qu’ils la trouvent là sur un trépied, c’est d’ailleurs ce qui nous avait inspirés au début parce que les derniers groupes folk pratiquaient volontiers ce genre de mise en scène, les instruments qui attendent les musiciens sur la scène… Quelquefois ça ratait parce que le honteux liquide restait coincé à l’intérieur de l’instrument, et c’était assez souvent le cas avec des interprètes dramatiquement statiques qui égrenaient leurs accords le cul sur leur tabouret, le front dans les cordes. Dans ces cas-là, on savait juste que le type prenait peu à peu conscience que sa gratte était bizarrement lourde et mal équilibrée, et par temps chaud, que les effluves finissaient par lui monter au nez... ce qui était assez savoureux avec des gars qui reprenaient des ballades très romantiques de Joan Baez ou de Simon and Garfunkel. Mais le public restait hors du coup, c’était quand même raté.

Mon meilleur souvenir reste la fois où Ian avait réussi à verser deux bons litres d’Amstel recyclée dans la gratte de Jean-Louis Aubert, aux Eurockéennes dont c’étaient les débuts. Je ne sais plus trop comment il avait réussi son coup parce que Jean-Louis était arrivé sur scène instrument en bandoulière, je crois qu’il avait utilisé un sac en plastique dans la caisse et du scoth qui résista juste le temps qu’il fallait… Donc Jean-Louis arrive, très classe, très français avec sa coupe de cheveux libre rebelle, son costume déstructuré Marithé et François Girbaud, et sous le bras une Gibson Hummingbird de 1960, une rareté, superbe, un vrai choix d’esthète. Gros applaudissements. Il commence son tour de chant avec une reprise de La bombe humaine, chanson d’abord très douce, très calme, suspense parfait pous nous, on se tenait les côtes. Au deuxième couplet le batteur a démarré, et d’un coup notre Jean-Louis s’est allumé, comme s’il avait reçu un choc électrique… Le voilà complètement parti, balançant la Gibson à gauche, à droite, en haut, en bas, et allez que je saute d’un bout à l’autre de la scène sur un pied ! Ah, il rendait un bel hommage à Téléphone ! C’était tout le rock français qui explosait et… s’arrosait sur la scène de Belfort… La bombe humaine, tu la tiens dans ta main… Je pense que Ian se serait pissé dessus s’il ne s’était justement soulagé vingt minutes avant.


Jean-Louis l’a plutôt bien pris, il faut lui reconnaître cette élégance, quand il a commencé à sentir le mouillé. Peut-être qu’il avait lui-même fait le coup à d’autres. Il a dû interrompre sa performance, mais il a réussi à improviser une chute qui montrait qu’il assumait, quelque chose comme : Je crois que je me suis laissé aller, oh oui, je me suis laissé aller… Un mec classe. J’ai toujours eu envie de lui dire que c’était nous par la suite, je n’ai jamais osé, en particulier à cause de l’instrument qui dut être sérieusement endommagé.

L’année suivante on se serait bien fait Goldman, surtout pour faire plaisir à Andy dont c’est une des têtes de Turc. Mais rien à faire, à croire que ce type ne se sépare jamais de sa guitare. Cet échec-là a un peu marqué la fin de cette époque et de cet état d’esprit. À ce moment-là on est en 1991, et Ian commence à avoir de petits problèmes.

© Frédéric Le Roux, 2006
photos de scène : Eric Baroux, www.jeanlouisaubert.com

20 avril 2006

LAISSEZ-MOI VOUS PRÉSENTER...

... mes personnages


Une absence de quatre jours sur ce blog, c'est une première. Non, je n'étais pas à court d'inspiration, au contraire. Je suis entré dans ce roman, il m'a happé, au point de commencer à en dessiner les personnages. Et ça ne va jamais assez vite. Je pense qu'on ne soupçonne pas, tant qu'on ne s'y est pas essayé soi-même, le temps considérable que cela prend de fabriquer un monde... un petit monde de fiction... parce qu'il doit malgré tout entrer en concurrence avec le monde réel, il doit tenir debout... En situant mon histoire dans un passé, même proche, en donnant à mes personnages une profession, je m'expose à des heures d'enquête. Je ne connais pas grand-chose à la musique, je ne me souviens plus très bien des années quatre-vingt...


Le point de départ est simple. Deux frères, Andy et Magnus Brody, créent un groupe de rock à Oxford. Il leur manque un chanteur, ce sera Ian Cole, de Summertown. Ils ont dix-huit ans. Il se trouve qu'une alchimie agit entre ces trois-là. Rapidement, ils vont se retrouver en tête des charts et commencer un tour du monde... Il y aura des femmes, des amants, des enfants... pas mal de problèmes... pas mal de chiens aussi, mais ce n'est pas eux qui raconteront l’histoire, non. Plutôt Peter, le fils d’un premier mariage de Ian, chanteur au succès écrasant. Ou chacun des personnages à son tour ?


Il y aura une crise, plus grave que les autres, au seuil des années 2000. Je veux retracer leur histoire jusqu’à ce point, et les accompagner encore quelques années... voir comment ils s'en sortent... Sera-ce avec le sourire de la victoire ? J'espère...

On verra...

16 avril 2006

MAGNUS : MON NARRATEUR PRÉFÉRÉ ?



Il fallait quand même qu’Andy croie en sa vocation, et peut-être, un peu, en moi, pour nous offrir une batterie à nous. Parce que c’est un matériel assez onéreux. Nos parents ont toujours encouragé notre activité musicale spontanée, ils nous ont aidés dans la mesure de leur moyens et dès treize, quatorze ans, Andy bossait après les cours pour acheter des instruments. Nous étions la boîte à musique du quartier, et on serait peut-être passés pour des martiens s’il n’y avait eu depuis toujours cette magie : Andy se mettant au piano ou à la guitare et commençant à chanter. Les gens s’arrêtaient devant la maison, ma mère laissait la porte ouverte et les voisins entraient discrètement pour l’écouter. Maman servait le thé et les biscuits, les custard cream, les lemon cream, certainement pas des shortbreads ou des ginger breads qui étaient beaucoup plus chers. De toute façon les gens ne venaient pas pour ses biscuits ou son Lipton. Andy chantait tout ce qu’on voulait et jouait sans partition, des airs traditionnels et religieux, les chants de Noël à Noël, des arias de Bach, de Pergolese ou d’Allegri. Surtout, il inventait ce qu’il chantait, et c’était le plus miraculeux. L’un de nous, moi ou Gail, notre père parfois, prenait alors une flûte ou une guitare et l’impro devenait collective. Les inventions d’Andy nous inspiraient… L’accompagner, c’était comme déchiffrer une partition nouvelle à toute vitesse, mais le sens mélodique était tellement évident chez lui que ce n’était pas difficile, on devinait la direction qu’il prenait d’une mesure à l’autre. Maman disait toujours, en se rengorgeant, « ces enfants sont tous nés plus doués les uns que les autres. Et tous plus intelligents que vous et moi. Mais mon cadet, comme vous voyez, c’est notre Mozart… » Sa voix n’a mué qu’assez tard – fin d’une époque…



Fin 84 il y avait, dans la maison de Cleveland Street, un piano droit sur lequel tous les enfants jouaient, deux guitares acoustiques, une guitare électrique Epiphone (propriété exclusive d’Andy), une très bonne basse que j’avais achetée pour pas cher à des branleurs d’Oxford qui n’y connaissaient rien, une flûte traversière héritée du grand-père maternel et dont Gail jouait de temps en temps, cinq flûtes à bec (trois sopranos et deux ténors), un tambourin plutôt décoratif, et une superbe batterie Yamaha rouge… Cette batterie fut d’abord installée dans ma chambre, puis dans la « buanderie » de maman, au sous-sol, d’où on l’entendait un peu moins. Nous ressortions gluants des séances dans cette pièce simplement cimentée, avec une toute petite fenêtre, où pendait quotidiennement le linge d’une famille de cinq auquel s’ajoutait une fois par semaine celui des Quine, nos voisins parkinsoniens dont maman se chargeait de faire la lessive. Finalement, la batterie trouva place chez Jonathan à qui ses parents « louaient » une dépendance dans leur jardin, moyennant l’entretien dudit jardin qu’ils n’avaient pas le temps d’assurer.

Mille six cents mètres carrés quand même. Vingt-trois pommiers, soixante-seize rosiers, trois glycines courant sur vingt-huit mètres de mur, quatre abricotiers, deux cerisiers et cent-soixante espèces de fleurs différentes, en massifs, en bordures, vivaces, bulbes, rhizomes… Jon était très rigoureux sur cette question de l’entretien auquel nous nous mettions dès huit heures du matin, le samedi et le dimanche. Andy et Ian débarquaient rarement avant dix ou onze heures, et il fallait littéralement les sortir de la cuisine, leur enlever la clope du bec et leur mettre la tondeuse ou le sécateur entre les mains. Mais ils étaient tellement lents, tellement maladroits qu’on les renvoyait généralement à la cuisine vers une heure pour préparer des sandwiches, et quand on avait mangé, on savait qu’ils n’y tenaient plus, on les laissait s’enfermer dans la remise où on les rejoignait vers trois-quatre heures. On répétait alors jusqu’à minuit, une heure, deux heures… Les réveils du lundi matin étaient mortels.



On commence à faire écouter les maquettes aux copains. On organise de petits bœufs chez Jonathan. On ne se prend pas encore la tête, ou du moins ça ne se sent pas trop. Ça reste encore une manière de s’amuser, de faire venir des filles… Shelley MacGovern, copine de boulot d’Andy, est une grosse attraction pour les mecs du quartier. Shelley à l’époque, c’est le vélo du village, tout le monde a une chance de monter dessus… Il y a Rachel aussi, qui allait devenir ma femme, avec son beau visage de pluie. À côté de Shelley, c’est la Lune en face du Soleil… Il y a des gens comme Steve Albarn qui bosse comme portier au Zodiac, la salle de concerts de Cowley Road, et un tas de petits branleurs sympathiques. Une bonne ambiance, un mélange intéressant de gens issus de classes sociales normalement étanches les unes aux autres.

Ian prépare régulièrement, pour quelques convives flattés de cette préférence, de « délicieux cappuccinos ». Le reste des invités, au parfum, rigole : il fait mousser du produit vaisselle dans une tasse à demi pleine de café… Saupoudré de cacao, le résultat est parfaitement appétissant ! On y a tous droit au moins une fois. Il y a cette légèreté-là avec Ian, qui brise d’emblée la glace, la distance que sa beauté, trop frappante, trop grande pour un mec, met entre lui et les autres. Superficiellement, beaucoup de gens trouvent notre musique gaie et les paroles tristes. Mais si on réécoute aujourd’hui nos premiers titres, on comprend qu’il y a une réelle connexion entre la musique et les paroles, avec des tonalités souvent mineures, des dissonances… C’est quelque chose qui apparaît à l’analyse, qui n’était pas évident sur le coup. Par la suite on a été capable de tout chanter, et ce qui fait le lien entre chacun de nos albums, c’est l’énergie, cette énergie incroyable qu’aucun d’entre nous n’est vraiment capable d’expliquer mais qui résultait de notre association, qui allait faire de nos concerts le phénomène que l’on sait, qui plus tard nous dépasserait… Mais j’anticipe. Au début, on ne savait encore rien de tout ça, on en était à essayer des formules. On en était à se chercher un nom…

© Frédéric Le Roux, 2006

15 avril 2006

BRAVO, BENE !

13 avril 2006

FICTION 2. MAGNUS PARLE

Quand on nous demandait de qui on se sentait proche, on répondait systématiquement les Smiths, U2, Depeche Mode. Sans trop expliquer. C’était assez sincère et finalement assez juste, mais n’avait pas grand-chose à voir avec la musique. Cela tenait en partie au côté sexy de ces formations. Morrissey était beau, Dave Gahan était beau, les batteurs de U2 et des Smiths étaient des petits mecs très mignons, et ce n’était pas seulement une image, dans l’intimité c’étaient de vraies bites sur pattes ! Enfin, ces types qui font pleurer les filles et… réagir les garçons sensibles… Et il faut avouer qu’on cultivait ça aussi, de manière très évidente. C’était une attitude rock’n’roll, quelque chose qui remontait aux années soixante. Une attitude tout à fait démodée au milieu des années 80 où la plupart des groupes étaient tellement moches, et personne n’avait l’air de s’en rendre compte…

On était proches de ces groupes aussi parce que dès qu’on a rencontré le succès, on a tous développé une énorme ambition. En 86-87, on pouvait donc nous classer dans un pool de quatre groupes que caractérisait leur succès phénoménal auprès de la jeunesse et leur revendication de l’héritage rock. Peu l’ont perçu à l’époque, mais la question était : qui d’entre nous allait remporter la timbale ? Nous faisions figure de benjamins… Morrissey était sur le point de suicider les Smiths, et par ce geste lui-même en tant que dieu vivant de la scène pop. Par sa personnalité : son charisme, sa solidité, son côté très consensuel aussi, disons-le, son côté pute, Bono devenait le plus sûr prétendant au titre de rock star absolue, vraiment internationale. Mais bien malin qui s’en serait douté. Quant aux Depeche Mode, ils commençaient à remplir des salles de plus en plus importantes avec leur musique spéciale, leur électro-pop dure, bizarrement romantique. Mais à la fin des années 80, leur frontman avait encore des allures de cuirette... Dave Gahan, un bon pote, vraiment. Il allait lui falloir encore quelques années, pas mal de tatouages et une belle tendance à l’autodestruction pour asseoir sa crédibilité, oser les plongeons dans la fosse des stades et devenir, pour un temps, une icône qui éclipsa même Bono…


Notre Dave à nous était un petit punk tardif, souple et faux comme un chat, avec une gueule de petit dieu brun et timide. Ian Cole… Un punk à la Bowie, avec ses petites vestes cintrées de chez Paul Smith, ses pantalons en veau sur des bottines italiennes, ses longues mèches noires qu’il dégage d’un mouvement de tête énergique, lorsqu’il est décidé à sourire… C’est l’image que vous connaissez de lui sur scène… Et s’il sourit autant sur scène, vous savez bien pourquoi : c’est parce que ça le fait bander de jouer avec vous, et que ça vous fait bander de partir avec lui. C’est une bonne nature. Bosseur, très patient, très courageux. Aussi le garçon le plus sociable que j’aie connu, gros fêtard, très accueillant, toujours partant pour se marrer… en même temps très secret, fier, conscient de son image, de son pouvoir de séduction… Doutant bien sûr énormément de lui-même comme artiste. J’avais fait sa connaissance un matin d'avril 83, alors qu’il faisait courir son chien sur la plaine de Port Meadow et que je traînais plus ou moins là, comme souvent, à gamberger des projets totalement mégalos en fixant l’horizon bucolique et jaune…




© Frédéric Le Roux, 2006
photo de Dave Gahan : dailydepeche.blogspot.com

11 avril 2006

THE LOVE


J’ai besoin de me poser avec l’ordi, pour écrire, pour envoyer mes posts. A Berlin, le réseau wi-fi était partout, souvent gratuit. Ici, il n’y a rien. J’hésite à retourner au King’s Arms, je crains de tourner en rond, de m’enfermer. Quel idiot. Le King’s m’envoie partout, c’est la base ! Le centre de la rose… Lieu miraculeux, lieu magique. Bien sûr qu’il fallait aller là, comme entre dix personnes il faut aller vers celle dont on est amoureux… et qui apparemment nous aime aussi. D’abord j’y trouve la connexion Internet, payante, d’accord, mais c’est déjà miraculeux. Second miracle, alors qu’il fait beau, qu’on m’apporte un café, que je suis là, chez moi, loin de chez moi, viennent s’asseoir à la table en face de moi deux des étudiants d’hier soir, les deux qui m’avaient tellement ému…


Le premier, celui qui est au fond, me touche par sa ressemblance avec un amour ancien. Je ne suis pas étonné d’apprendre qu’il est à Merton College, un des plus mythiques. Je le connais, ce paysan au pas rapide, sa puissance concentrée de bœuf court, sa séduction dans un groupe où son intelligence, sa rapidité, une sorte d’aval qui indique l’ambition élèvent une conversation d’étudiants à l’intensité d’une messe… Il est avec le gars dont j’avais pensé hier qu’il l’aimait, parce qu’il était à côté de lui dans ce cercle de sept ou huit, ce gars qui est physiquement son contraire et qui portait sur son visage un peu douloureux, dans son isolement parmi les autres, sa distinction, sa consommation de cigarettes, l’air d’être amoureux… L’est-il ? Je crois. En est-il conscient ? Probable. Ils boivent des Guinness, le paysan de Merton ne fume pas, son ami fume peu… Ce moment a une valeur pour l’un et pour l’autre. Ce livre qu’il veut lui faire lire compte beaucoup pour lui. Déjà, son ami lui a fait écouter des disques dont le son le bouleversera à vie…


En revenant, je passe par Museum Rd., petite voie piétonne qui serpente au flanc de Keble College, ce dinosaure rouge. Et je me souviens être passé là… Ce serait drôle, si on pouvait juxtaposer les deux films… Moi passant maintenant, et lui passant alors… lui qui est moi…

10 avril 2006

PUBS D'OXFORD

Pause sur High Street, à trois heures de l’après-midi, avec mes bagages trop lourds et une grosse envie d’uriner. Le Mitre me fait rentrer d’un coup dans Oxford, tout de suite, à cause de l’odeur de ses cuisines... dans le couloir d’entrée aveugle où des fauteuils de tapisserie, des boiseries et un plancher usés, le plafond jaune et bas imposent aussi l’élément spatial de la ville, son type d’intérieurs…



Une des deux grandes salles s’éclaire d’un jour qu’atténue le couvert nuageux. À ma surprise, elle est encore ouverte aux fumeurs. Une femme est là, tout à fait seule, assise sur une banquette contre le mur, le visage tourné vers la baie vitrée. Je ne peux pas, comme j’ai fait à Berlin, la photographier discrètement. Mon inspection la dérange un instant, nous nous saluons, et elle retourne son regard vers la rue. Cette image est belle comme un extrait de Woody Allen ou un tableau de Hopper. Je pense à lui demander de poser pour moi, mais déjà elle est en compagnie d’un homme, allume une cigarette, un autre couple s’installe… Je photographie à défaut l’entrée d’une des petites salles au fond du pub, où les salières sur les tables n’attendent que votre imagination pour se changer en la réincarnation de Shelley, de Byron et de quelques autres étudiants d’autrefois…



Dans la soirée. Sur St. Giles rêvé et désiré si fort, un après-midi de septembre dernier, celui qui connaît et reconnaît la ville n’est pas moi. Ses repères, et ce qu’il n’a pas vu, sa manière d’avoir compris ne sont pas les miennes. La ville, ses édifices, les distances : tout me semble plus petit aujourd’hui, et je me demande pourquoi il nous fallait des vélos, on va d’un bout à l’autre de l’université en cinq minutes ! Au King’s Arms, il y a une petite cheminée dans la « pièce réservée » où, à la fin de l’année universitaire, j’avais pris la liberté d’aller écrire le matin, j’y découvrais le bonheur d’un certain travail solitaire mais extérieur. J’avais oublié que cette pièce a un nom, The Office, oublié aussi ce foyer étroit où brûle une seule bûche, si courte qu’elle forme un cube, sur un lit de braise serré. Un tapis rouge très usé, comme le magnifique plancher aux lattes épaisses, larges, comme tout le pub. Seul l’extérieur a été récemment rafraîchi, rose clair, on pense à Dickens… Le viking blond, seul à une table où il travaille à l’heure du dîner… Les deux serveurs, leurs dents très belles, très blanches, comme tous les jeunes Anglais aujourd’hui, j’en suis émerveillé… Le groupe d’étudiants qui ce soir a pris possession de l’Office, je reparlerai d’eux.



Demain j’irai déjeuner au Anchor, au nord de la ville, autre ambiance, banlieue aisée, murs propres et bois entretenus, et je goûterai la première pinte bue à l’extérieur…


08 avril 2006

LE DIABLE LUI-MEME ?

A côté de moi, dans l'avion, une jeune femme m'est sympathique. Je ne comprends pas tout de suite que sa lecture ininterrompue des journaux sert à tromper son angoisse du voyage aérien. Elle et son ami rient, commentent les articles, il n'y a pas d'agitation en eux, seulement une nervosité plutôt tonique, jeune... Je n'ai rien de plus à dire sur eux. Ce sont des voyageurs. Je garde en mémoire le sourire un peu tendu, le collier de barbe rousse sur le visage mince, les vêtements portés, un peu tachés... Une image au milieu de la page d'un quotidien ne retient pas leur attention, avant que je la leur désigne, saisi par son chromatisme de cauchemar. "Regardez, on dirait le diable lui-même..."


Le diable lui-même... Non, bien sûr. À peine un intendant... Mais comme dirait Yoda, puissant chez lui est le côté obscur. Ma voisine dit à son ami qu'ils devraient conserver cette photo, qu'elle est étonnante. Elle choisit plutôt, à la sortie de l'avion, de me confier le journal.

07 avril 2006

AU ZOO







AU CARREFOUR



En Allemagne, personne ne grille un feu, personne ne traverse quand c'est rouge, même s'il n'y a aucune voiture. Un peu surprenant au début, c'est bien finalement. Ça limite bien sûr les risques d'accidents, et on se sent un peu plus contraint, mais avec un vrai sentiment de sécurité, et aussi de politesse, de civilité... On a juste l'air un peu con, tous à attendre le moment de traverser...

05 avril 2006

FICTION 1. IAN PARLE



Quand je suis arrivé dans cette ville, j’ai pensé que je la détesterais, ou que je ne pourrais jamais m’y intégrer. Le froid était tellement fort, tellement agressif, et l’humidité, le gris. Les Allemands si placides, si indifférents, pendant des jours je ne croisais pas un regard. Je me retrouvais en Angleterre, en pire.

Nous devions rester deux mois, le temps d’enregistrer la moitié d’un album, bien que partant comme d’habitude de zéro. Nous sommes entrés en studio avec la maquette soi-disant de quatre titres, dont seulement un thème a été conservé au final et a d'ailleurs fait un hit. Mais cette maquette... Une vingtaine de minutes d’improvisation d'Andy au Clavinova, sur laquelle il chantonne pour marquer les couplets. Des séries d’accords s’engendrant les uns les autres, sans ligne définie, ou au contraire, on pouvait les percevoir comme une multiplication de chants, peut-être une infinité de ballades possibles, mais aucune n’étant aboutie. Pas de texte à ce niveau, juste une ou deux phrases obsessionnelles émergeant ça et là. L’écho, l’ébauche de chansons non écrites. Mark Elfrido, une des têtes du rock alternatif allemand, devait assurer la production. Très enthousiaste de notre proposition le printemps précédent, à Londres, il cacha difficilement sa déception. Il finit par déclarer son inquiétude en des termes on ne peut plus nets : « Est-ce que vous vous foutriez de ma gueule, par hasard ? » Andy commença à regarder le plafond, Magnus se lança dans une justification bancale, interminable. Le chauffage fonctionnait mal dans le petit bureau où nous étions passés. Nous nous transformions en glaçons, Magnus et moi particulièrement. Pas de fenêtre, éclairage au néon, ambiance vert-jaune-violet. Je patientais, imaginant le bain bouillant, les vêtements propres et chauds qu’il faudrait encore attendre plusieurs heures… Je maudissais Andy d’avoir absolument voulu résider dans l’est de Berlin, à l’autre bout de la ville par rapport aux studios.

« Rassure-toi », dis-je à Mark en lui serrant la main, « ça a toujours été comme ça. Emmène Andy dans ta ville, guide-le vers les lieux que tu aimes, qui ont un sens pour toi. Sérieusement, écoute ce que je te dis… Montre-lui le mur, les gens, les familles, et la nuit, fais-lui faire le tour des endroits chauds. Puis laisse-toi oublier pendant cinq ou six jours, prétexte un voyage. D’ici deux semaines, je te promets cinq chansons, texte et mélodie, tout en place du premier coup. Tu verras. Tu n’auras plus qu’à habiller tout ça… »

À Friedrichshain, nous avons trouvé une maison fermée, jouxtant le squat le plus immonde qu’il m’ait été donné de voir dans ma vie. Magnus avait oublié au studio son carnet sur lequel était noté le téléphone de notre contact. Encore trois heures à agoniser sous la neige, le temps de faire la connaissance des premiers punks berlinois. Je me souviens les avoir littéralement fuis, cherchant désespérément un café, n’importe quel endroit chaud et normal dans ce quartier en ruines, le long de rues interminables. Quand finalement nous avons pu rentrer, ce fut pour apprendre qu’il n’y avait pas d’eau, les canalisations avaient gelé. Je n’imaginais pas à ce moment-là le printemps, l’été, l’automne dans cette ville… La deuxième moitié de l’album a été réalisée en France, aux studios de Saint-Cloud. Nous sommes revenus pour le mixage final, en juin. J’ai rencontré Monica. J’ai vécu six ans à Berlin.

© Frédéric Le Roux, 2006


04 avril 2006

TAILLEUR DE PIERRE



Stéphanie vient de réussir son diplôme de taille de pierre. Yeah !!! Visiblement, il y a derrière cette victoire une grosse fatigue... Prends un peu de temps mon coeur, à présent... Pour toi, ces quelques merveilles.

Oxford, Balliol College

All Souls College

Indian Institute

03 avril 2006

LE SENS DE LA LAIDEUR


Le moins qu'on puisse dire, c'est que les Allemands n'ont pas le sens du beau inscrit dans les gènes. Ce qui est étrange, c'est que ce soient les femmes qui assument le moche, le tordu, le mauvais goût, la vulgarité, dans la caricature... Alors qu'en réalité, dans ce pays, les femmes sont souvent très belles, les hommes se distinguant plus rarement de ce côté...

02 avril 2006

ENFANTS SAGES, ENFANTS PAUVRES

Ce matin, le sens de la couverture du Spiegel m'échappe. L'image est à la fois laide, dure et quasi indéchiffrable. Je finis par comprendre, avec l'aide du vendeur de journaux. Cette photo volontairement sombre et floue illustre les violences entre élèves, en Allemagne et particulièrement à Berlin. En dix ans, le nombre des agressions en milieu scolaire a dramatiquement augmenté, en fait il a doublé, avec des actes de plus en plus graves.

Violence, division... Elle est bien sûr partout, en Europe, en Afrique, en Amérique. Il suffit pour la comprendre de parcourir les villes, de lever les yeux sur les façades. Es-tu du bon côté ou du mauvais côté ? Si tu es né du bon côté, tu seras sage... Les enfants sages vivent dans les cités bleues héritées du marxisme brejnévien, propres, nettes, pas belles mais solides, puissantes. Peut-être belles finalement, à cause de cette puissance, à cause de ce bleu... Ils jouent au hackysack, font de leur mieux au collège et aspirent à des quartiers plus gais, plus variés. A une vie normale, ensoleillée. Les enfants pauvres… d’où viennent-ils ? Exposant des regards naïfs, pleins d’espoir, je les vois arriver ici par le Sud, les mains sales mais si belles. Est-ce que pour eux ce sera encore la mort dans les squats pourris ? Que peut leur offrir la ville ? Ou sauront-ils être plus malins, plus patients ? Plus courageux, peut-être ?



La cité bleue, entre la gare de l’Est et Karl Marx Allee.




L’innommable. Ce squat de Köpenicker Strasse est habité, ses occupants sont à son image. « Alternative » me dit un ancien de l’Est, si aimablement correct avec son chapeau et son écharpe. Mon angoisse devant cette poubelle humaine égale la sienne. Plantée au milieu de la rue, on dirait une ruine dans SimCity. C’est à peine réel, mais cela est.



Savigny Platz, Berlin ouest. Vous voyez l’illustration au début des albums de Conrad et Paul, la série de Ralf König ? Elle montre leur appartement si tranquille, si coquet, abrité derrière un arbre… C’est là, l’immeuble rose…